L’époque nous ramène à quelques fondamentaux, et c’est bien salutaire : réintroduire la production au cœur de nos mondes de service. Le temps est à cette prise de conscience qui, si elle ne tombe pas dans l’excès et la simplification, pourrait ramener le curseur vers l’équilibre. Vers une plus grande résilience, qui va de paire avec une agradation écologique de nos lieux de vie, de nos villages et paysages. La curiosité c’est que cette quête de l’abondance est moins issue d’une conjoncture économique que d’une intuition populaire, souvent sans lien avec un impératif de production. Au fond, il y a là l’expression d’un inconscient culturel habité par l’idée de l’Eden (nous préparons un ouvrage sur ce thème et l’épopée symbolique du néolithique jusqu’à la permaculture).
En quête de l’Eden
Dans ce cadre, on nous sollicite de plus en plus pour aménager les espaces verts aux abords des maisons ou sur de plus grandes surfaces. Combien de haies de thuya à retirer, de pelouses à planter, de vergers sous perfusion à revigorer…
Certains y voient un petit pas vers l’intégration de la biodiversité, le plaisir de savourer ses propres fruits, de picorer avec les enfants, d’admirer la cohabitation des plantes selon l’espace naturel qui leur ait dévolu, de développer des îlots de fraîcheur… mais il y en a aussi qui font ce choix dans un cadre professionnel, souvent en reconversion, et qui cherchent à allier productivité et écologie (c’est notre cas).
L’amélanchier autant que le camérisier sont des fruitiers particulièrement adaptés pour ce projet en climat tempéré, en petit ou en grand. Productifs et rustiques, au bouturage facile, ce sont des fruitiers pour le futur. D’ailleurs il est possible de les planter dans un grand pot pour s’accommoder au milieu urbain.
Planter, ça vous branche ?
D’un point de vue anthropologique, l’acte de planter est crucial. Au-delà des fruits, de la biodiversité, de la beauté des paysages, il y a un bienfait de l’arbre fruitier à la frontière de la cognition et de la culture : planter enracine nos vies dans une terre et une matière. C’est là le point de départ d’une relation de connaissance qui sous-tend la fidélité et qui fait du fruit une cocréation. La physiologie de l’arbre et du fruit, leurs cycles à travers le voyage des saisons, nos actions avec eux et les interactions avec leur milieu, la richesse culinaire et médicinale, etc. tout ceci ramène les pieds sur terre. Et pas n’importe laquelle, celle que l’histoire nous a donnée en partage avec nos voisins et que nous léguerons à nos enfants. L’arbre, témoin du passage des saisons et des hommes, nous initie au temps long, au partage intergénérationnel, à mille lieues de « l’instantané sans contact confiné en télétravail ».
Il est inestimable au sein de nos familles, pour nos enfants et petits-enfants, et au sein de nos villages, pour les enfants des voisins, d’être celui qui, un jour, prend la bêche, ouvre un trou, et y plante un arbre. Ou plusieurs.
Et peu importe si pour l’instant au sein des familles les adolescents ne s’y intéressent pas, et que les arbres fruitiers représentent le moindre de leur soucis. Ce qui est bien avec l’arbre, c’est qu’il a le temps d’attendre le fils prodigue. Plus : de le surprendre.
L’Arbre est un patrimoine total
Quand j’étais petit, je lisais très souvent un livre magnifique : « L’Arbre généreux ». Il racontait la relation entre un enfant et un pommier.
Tout au long de la vie et jusqu’à la vieillesse, le pommier se fait une joie de voir revenir à lui, de loin en loin, l’enfant, puis le jeune adulte, puis l’homme mûr et enfin l’ancêtre. Lui donnant chaque fois et pour chaque étape de sa vie, un bien : branches pour jouer, ombre, fruits, planches, souche pour s’asseoir…
Préparer l’avenir en plantant le plus vite possible, c’est notre devise. Notre grand-père Henri l’avait bien dit : “Un conseil ? Il faut planter ! Voilà : tu sais tout”. Cette dimension radicalement patrimoniale (dans nos villages, pour nos familles), un temps reléguée, va revenir au galop, ne serait-ce que par le ricochet temporel de ce désir d’Eden actuel, à mesure que croissent les arbres et mûrissent les fruits.
C’est en outre une qualité relationnelle de l’environnement pour ceux qui viennent. Car ne prenons pas ce patrimoine pour une simple affaire de placement, ou de garantie, ce qui est déjà pas mal du point de vue des générations à venir. C’est aussi une opportunité qui leur est laissée, quant à la proximité et la familiarité à l’arbre, et à la valeur immanente de cette relation. Une richesse disponible et assurée par le zèle des planteurs.
Arbre de Noël, arbre de mai
Car enfin, le fruit le plus essentiel de cette relation c’est de fournir un paysage à l’imaginaire. En d’autres termes, la présence du fruitier dans le paysage suscite son usage dans l’imaginaire, ce depuis des temps immémoriaux. Notre pensée mythique a cherché dans le phénomène de la fructification, le mystère de l’abondance et de la rareté. Dans la caducité ou la pérennité des feuillages (de la sève), le mystère de la mort et de la vie. Noël n’est pas loin, et la part substantielle de sa symbolique tient à l’arbre fruitier : le sapin de Noël, avec son feuillage vert et ses fameuses boules, qui avant étaient des pommes de garde puis ensuite des agrumes, était un fruitier transcendantal, vert et fructifiant au cœur de l’hiver, proclamant le triomphe de l’abondance sur la rareté, de la vie sur la mort. Comme un amalgame de Pâques et de Noël, de la naissance et de la résurrection. D’ailleurs dans tous les pays hispanophones, Pâques et Noël sont appelés Pascua.
Aristote commence Les Métaphysiques ainsi : « L’Homme a naturellement la passion de connaître ». Le fruitier nourrit inlassablement cette passion qui ne touche jamais complètement au but. Ses chapitres sont les saisons, la fleur l’Amour, le fruit la Vie, l’automne la Vérité et l’hiver le chemin. En ce sens, l’arbre fruitier est une théorie du monde et de l’au-delà. Sa présence fournit un support analogique fondamental à la pensée.
Si vous cherchez un livre comme cadeau de Noël pour vos enfants, pensez à « L’Arbre généreux ». Mieux : offrez-lui un fruitier !